COMORES / Mayotte : des radars en guise de politique *
Par DUFLO MARIE
Marie Duflo est secrétaire générale du Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés).
Deux noyés et huit disparus, peut-être plus, à la suite d'une collision dans les flots de l'océan Indien, entre une embarcation de Comoriens et une vedette de la police française,
rappelaient, le 4 décembre, à l'Hexagone, l'existence de ce petit îlot français distant de 8 000 kilomètres.
En exprimant son «émotion», le ministre de l'Immigration s'est dit«résolu à lutter contre les filières qui exploitent la misère des migrants clandestins en les
précipitant sur des embarcations incertaines, au risque de leur vie». Cet été, le même s'est félicité du record de Mayotte en terme d'«éloignements» : 16 246 en 2006, dont 13
253 adultes et 2 993 mineurs, chiffres qui équivalent à près du dixième de la population de Mayotte et à plus de la moitié du nombre des éloignements effectués en métropole !
L'objectif de 12 000, fixé en 2006 par le ministre de l'Intérieur d'alors, Nicolas Sarkozy, a été largement dépassé. A quel prix ? La violence des interpellations massives et quotidiennes
dénommées «raclettes» ne fait pas de doute. En mai 2007, une lettre ouverte d'un fonctionnaire en poste à Mayotte témoignait (1) : «Les interpellations de clandestins sont
faites à la chaîne, hors de tout cadre juridique [dans des fourgons ou dans des coffres de voiture, ndla] ; la tradition est de "balancer" tout le monde [vers l'île comorienne la plus proche,
Anjouan], qu'il s'agisse d'un Anjouanais, d'un Comorien, d'un Mohélien, d'un Malgache ou d'un Africain. Les mineurs, pourvu qu'ils s'approchent de la majorité (soit de 14 à 17 ans), sont
enregistrés comme personnes majeures [.]. Cette méthode n'empêche pas les personnes expulsées de revenir.»Loin de lutter contre les filières clandestines, cette politique assure leur
prospérité. Au-delà des dizaines de noyés trouvés sur les côtes de Mayotte, combien de noyés inconnus au large dans ce va-et-vient deskwassa-kwassa, petites embarcations qui
font la navette entre Anjouan et Mayotte ? La route de l'Est, qu'avait empruntée l'embarcation le 4 décembre, est plus longue et dangereuse que les voies utilisées avant que deux radars
aient été mis en place il y a deux ans ; en 2008, un troisième radar contrôlera le trajet actuellement utilisé. Il faudra donc aux exilés des Comores prendre encore davantage de risques.
Evidemment, les accidents - plus nombreux encore - seront mis sur le dos des passeurs. Autour de cette parcelle française, dans l'océan Indien, c'est le même engrenage qu'aux frontières du
sud de l'Europe entre contrôles électroniques, renforts de police et trajets migratoires toujours plus périlleux.
Jusqu'en 1995, le terme de «clandestin» n'existait pas à Mayotte. Par quel cataclysme une «invasion migratoire» déferle-t-elle depuis, et qui sont les 50 000 «clandestins» actuels ?
Après la reconnaissance par l'ONU, le 12 novembre 1975, de l'indépendance d'un Etat comorien, composé des îles d'Anjouan, de la Grande Comore, de Mayotte et de Mohéli, et après le
référendum du 8 février 1976 par lequel les Mahorais ont plébiscité leur rattachement à la France, l'archipel des Comores a vécu vingt années troubles. Ce qui n'a pas empêché la
circulation entre les quatre terres de se poursuivre le plus normalement du monde, notamment entre Anjouan et Mayotte. D'où l'ignorance de la notion de «clandestin». Le cataclysme s'est
appelé «visa». La France l'imposa, en 1995, aux Comoriens qui voulaient entrer à Mayotte. C'est ainsi qu'apparut le clandestin, avec la rupture brutale entre Mayotte et ses voisins. Peu
importe l'histoire faite, depuis la nuit des temps, de liberté de circulation dans l'archipel, les tissus familiaux, l'importance des Comoriens pour l'agriculture ou la pêche à Mayotte. Peu
importe aussi l'imprécision des registres de l'état civil qui rend difficile la distinction administrative entre Mahorais et clandestins. La mutation statutaire de Mayotte vers les normes de
la République n'a commencé qu'en 2000, avec la perspective d'une départementalisation dans les prochaines années. Elle accompagne une «modernisation» au pas de charge dans une société
africaine et musulmane et des «progrès» économiques et sociaux majeurs. Ainsi que se creuse le fossé entre Mahorais - à juste titre attachés à leurs nouveaux acquis - et leurs voisins ou
cousins comoriens.
En créant un microcosme français dans l'archipel des Comores malgré les résolutions contraires de l'ONU, l'Etat français a pris une lourde responsabilité régionale. Là où Paris parle d'une
invasion de clandestins, les Comoriens voient un droit ancestral à circuler entre leurs îles. Cette caricature peut être utile, vue de métropole, pour valider des restrictions du droit des
étrangers. Mais Paris a-t-il évalué le prix, pour les Mahorais, de la rupture avec leurs voisins ? Une muraille de radars dressée autour de Mayotte peut-elle tenir lieu de politique ?
(1) Lettre ouverte adressée à Ségolène Royal et à François Bayrou, publiée
dans Kashkazi n° 63
source (sans la photo) : liberation.fr
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