Koulthoum Djamadar: " je suis là pour respecter les règles"!
Certains l’appellent “Madame blocage”, d’autres la surnomment tout simplement “la dame de fer”. Elle, c’est la directrice de la fonction publique qui tente, non sans difficultés, de piloter l’une des reformes importantes mises en place par le gouvernement Ikililou: celle de l’Administration publique. Cette reforme vient de franchir un pallier décisif avec l’application des nouveaux cadres organiques dans le fichier de paiement des fonctionnaires de l’Union. Koulthoum Djamadar, puisqu’il s’agit d’elle, nous parle de l’assainissement de la fonction publique, des évolutions de l’Administration, des pressions qu’elle subit et… des injustices!
Vous avez déclaré avoir lancé la mise en application des nouveaux cadres organiques. Peut-on en savoir davantage?
C’est une réforme qui a commencé il y a plusieurs années. Malheureusement, les résultats attendus n’ont jamais été entièrement à la hauteur des attentes. Nous
reconnaissons, certes, que beaucoup a été fait, mais beaucoup restent encore à faire. Le processus de reformes, c’est quelque chose de très long, de très difficile pour un pays. Les nouveaux
cadres organiques s’inscrivent dans cette réforme.
Quelles sont les remarques que vous faites aujourd’hui?
Les cadres organiques tels qu’ils ont été informatisés en décembre 2012 ont été fidèles au portrait et à la photographie qu’on a de notre Administration. Il était
nécessaire que les secrétaires généraux de l’administration nous fassent le rapport de leurs commentaires pour nous permettre d’avancer dans l’étape suivante, en vérifiant et en contrôlant le
fichier afin d’identifier les agents de l’Etat et dire que ce sont des fonctionnaires en activité.
Quels sont les premiers résultats de ces travaux?
Il y a entre 50 et 100 agents qui ont subi une suspension de solde. Au bout de trois mois, ces agents seront licenciés s’ils ne régularisent pas leur
situation.
Quelle sera l’étape suivante?
Ce mois de janvier, nous avons apporté les corrections de la première phase. Le mois février sera la phase la plus importante. Nous allons faire la comparaison
entre le profil des agents en poste et le profil prévu pour chaque poste.
C’est-à-dire?
On prévoit une fonction et un profil pour chaque poste. La logique voudrait que si l’on affecte un agent à un poste, il doit forcément répondre au profil requis.
Ce que nous avons constaté, c’est qu’à un moment donné dans l’Administration, on ne respectait plus cette règle. D’où la nécessité de procéder aux reformes visant à assurer le respect des règles
établies. Nous nous apprêtons à marier, si vous me permettez le terme, le profil de l’agent avec le poste d’exercice. Nous allons établir la liste des agents de l’Etat, ministère par ministère,
regarder la liste des profils et replacer chaque agent conformément à son profil dans le poste qu’il convient. C’est la responsabilité des Secrétaires généraux de l’administration. C’est une
phase difficile, mais pas insurmontable.
Il y aura donc des bouleversements importants!
C’est une obligation! L’Etat s’est engagé à le faire. Cela implique que des agents qui ne sont pas “utiles“ dans tel département pourront l’être dans un autre et
un redéploiement pourra se faire. Nous établirons une troisième liste des agents qui ne répondront à aucun profil de l’administration comorienne. Malheureusement, nous savons que cela est réel.
Parce qu’à un moment donné, on recrutait des agents sans affectation précise. Ce sont les agents en instance d’affectation. Le fichier de la fonction publique tel que je l’ai trouvé en mars 2012
avait au moins 70% des agents en instance d’affectation sur un total de plus de 3.000 agents de l’Union.
A qui reviendra la décision?
Nous allons soumettre ces trois listes au conseil de gouvernement avec les recommandations nécessaires. Il aura à se prononcer par rapport à deux groupes. Les
agents à redéployer et les autres. Il faut envisager que l’Administration puisse se libérer de ces agents, tout en respectant leurs droits, afin que nous puissions prévoir des recrutements
d’agents compétents.
Ne craignez-vous pas d’être déçue pour la suite?
La volonté politique est là. Le président de la République n’a jamais cessé de le répéter et personnellement je l’ai entendu.
Où est le blocage alors?
C’est du point de vue technique. L’Administration comorienne n’est pas prête pour les réformes. Une mauvaise volonté est même affichée par certains responsables
techniques. Je préfère avoir quelqu’un qui ne comprend rien que d’avoir quelqu’un qui ne veut rien faire. Des secrétaires généraux ne veulent pas de cette réforme. Certains cadres croient pouvoir
prendre en otage tout un Etat!
On dit que vous faites l’objet de pressions politiques énormes?
Les pressions viennent. C’est le pain quotidien! Certaines personnes adoptent un langage diplomatique, mais d’autres sont très agressifs. Je suis là pour
respecter les règles que le gouvernement a mises en place. Autrement, je n’ai pas à être là. Je crois que la voie et la manière que j’ai choisies pour remplir ma fonction font la différence et
pour le moment, le gouvernement soutient ma démarche.
Un arrêté signé en 2011 suspend tout acte ayant une incidence financière sur la masse salariale. Il est constamment violé?
Il a été signé en mai 2011, je l’ai affiché sur ma porte. C’est une façon de dissuader la personne qui entre dans ce bureau à demander l’impossible. Je suis là
depuis mars 2012 et depuis, nous avons suspendu tout acte ayant une incidence financière sur la masse salariale. Cela veut dire concrètement qu’il n’y a plus de recrutement, plus d’avancement,
plus de prime, plus de bonification. Dans notre plan d’action 2013, nous avons recommandé au gouvernement de procéder à la levée de cette suspension afin que les fonctionnaires puissent
bénéficier de leurs droits à nouveau.
Comment faites-vous dans ce flot d’injustice au sein de la fonction publique?
Nous gérons l’injustice. Nous voyons des agents qui ont fait la même école et qui sont sortis avec le même diplôme, l’un est au sommet et l’autre est au niveau
zéro. Nous allons faire des rapports de ces injustices et le gouvernement devra prendre les décisions adéquates. Avant la fin du premier semestre 2013, des décisions seront prises.
Les enseignants reparlent de l’application de la nouvelle grille indiciaire?
Au niveau de la fonction publique, nous avons une vision bien claire. Nous estimons qu’il est inconcevable que deux agents qui ont le même diplôme touchent un
salaire diffèrent d’un ministère à un autre. On ne peut pas accepter qu’un secteur vienne imposer un statut. Notre vision est qu’il n’y ait plus de statuts particuliers.
Vous pensiez à un cas en particulier?
Il y a des exemples concrets. Les agents du ministère des Finances touchent 50% de plus de remise par rapport à tous les agents de l’Etat. Même le
chauffeur-planton du ministère des Finances gagne 50% de plus sur son salaire alors qu’un directeur général de l’environnement n’est payé que son salaire indiciaire plus l’indemnité de fonction.
Il faut régler cela par une révision des traitements de l’ensemble des agents de l’Etat. A compétence égale, rémunération égale.
Propos recueillis
par Toyb Ahmed